Regards sur la société civile en Afrique : Généralités

Article : Regards sur la société civile en Afrique : Généralités
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19 octobre 2013

Regards sur la société civile en Afrique : Généralités

Le concept de société civile tout comme celui du leadership relèvent de la culture anglo-saxonne. Ces deux notions, actuellement à la mode, sont passées dans la tradition francophone seulement ces dernières années, à la suite de l’émergence de la démocratie après la fin des empires coloniaux et de l’affrontement Est-Ouest. La question du leadership a commencé véritablement à se poser en Afrique dans les années 1990, début de la démocratisation de l’Etat et de la société.

En science politique, la société civile se définit comme l’ensemble des rapports interindividuels, des structures familiales, sociales, économiques, culturelles, religieuses qui se déploient dans une société donnée, en dehors du cadre et de l’intervention de l’Etat. La société civile, c’est ce qui reste d’une société quand l’Etat se désengage complètement ou n’est pas du tout engagé. Autrement dit, la société civile est l’ensemble des citoyens d’un Etat qui, pétris de patriotisme, conscients de leur identité propre, s’unissent, s’organisent sur la base de lois définies, et s’emploient à édifier une nation développée, libre et prospère où chacun s’épanouit et se réalise sans barbarie militaire, sans chauvinisme partisan ni dogmatisme religieux. Dans la plupart des pays d’Afrique, les acteurs de la société civile sont apparus pour répondre aux incohérences des appareils étatiques sur le plan national et pour pallier aux politiques économiques internationales qui ont des impacts négatifs sur les couches minoritaires. Au nombre de ces impacts, nous pouvons citer entre autre une mauvaise gouvernance et une classe politique en déphasage avec les aspirations sociales. Ainsi dans plusieurs pays africains, il y a eu une forte croissance d’organisation de la société civile ces dernières années. Mais où en sont aujourd’hui les sociétés civiles sur le continent ? De toute évidence l’Afrique a des sociétés civiles,  il s’agit de savoir comment ces sociétés évoluent sur le terrain. Il y a toujours une énergie sociale et civique et par conséquent il y a toujours de l’espoir et un potentiel, même lorsque les circonstances semblent peu prometteuses. Dès lors se pose la question de savoir ce que nous pouvons faire afin de protéger et de promouvoir la société civile en Afrique et ce que nous pouvons apprendre des efforts déployés ailleurs. La première question concerne les différences sociales. Est-ce que la société civile peut forger de nouvelles connexions par-dessus les anciennes frontières afin de cimenter une circonscription large en faveur des réformes et des responsabilités. La deuxième concerne les relations à l’Etat où il s’agit de trouver l’équilibre juste entre soutien et indépendance.

Considérant d’abord la question des différences sociales, il est important de reconnaître que l’ethnie et autres identités ne peuvent ni ne doivent être éradiquées parce qu’elles font partie de nous-mêmes. Par conséquent, elles doivent être gérées. Ce qui est impossible aussi longtemps que l’asymétrie économique et politique est aussi importante et que leur représentation est aussi inégale. Si la société civile reproduit cette asymétrie, elle devient partie du problème et non de la solution. C’est seulement lorsque les gens se sentent en sécurité qu’ils iront à la rencontre et établiront des liens avec l’autre et forgeront de nouvelles alliances avec ceux qu’ils ont traditionnellement considérés comme des rivaux ou des ennemis. Dans ce sens, l’inégalité et l’insécurité sont du poison pour la société civile. Il s’en suit que le soutien pour une économie équitable et inclusive, des soins de santé et la scolarisation pour tous, une représentation juste dans les fora politiques et gouvernementaux – ce qui n’est pas généralement considéré comme étant des terrains d’intervention lors de la construction de la société civile – sont les éléments les plus importants. Garder un lien explicite entre l’équité sociale et économique et l’approfondissement de la démocratie est la clé pour éviter les listes anémiques habituelles par lesquelles on sollicite les interventions de renforcement des capacités des ONG.

Deuxièmement, la société civile requiert des liens et des ponts solides, des associations qui se construisent sur des identités premières et d’autres qui les traversent. Cependant, un lignage excessif risque de permettre aux conflits potentiels de s’enraciner dans les structures de la vie civique, tout comme trop de ponts risque de laisser pour compte les plus faibles et les plus vulnérables aussi longtemps qu’ils ne sont pas prêts à être des partenaires égaux. Par ailleurs si nous nous tournons vers les relations avec l’Etat, nous savons que le renforcement des liens avec la vie politique est essentiel pour une gouvernance démocratique qui produit la paix et la justice sociale. L’expérience montre que ce sont les groupes de la société civile, avec des réseaux et des connexions forts, avec des acteurs politiques institutionnels comme les partis ou les parlements, qui sont les plus à même d’aménager des espaces et des institutions pour la participation des citoyens. Ceci étant dit, nous savons aussi que c’est un travail difficile et hasardeux, comportant la menace de la co-optation et de la manipulation. La société civile doit marcher sur le fil du rasoir de «l’amitié critique», démontrant tantôt loyauté tantôt indépendance, selon les circonstances, de façon à soutenir des représentants du gouvernement qui se font les champions de réformes de l’intérieur ou, à leur demander des comptes si les résultats ne sont pas à la hauteur de son attente. Créer la demande et fournir une gouvernance effective et démocratique sont d’une importance égale. Ils ne sont pas le substitut l’un de l’autre. Nous devons trouver et soutenir le cercle vertueux qui connecte les efforts de renforcement de la capacité des gouvernements à protéger leurs citoyens, avec les efforts de la société civile à mettre la pression sur les gouvernements afin qu’ils satisfassent à leur obligations sociales. Une quelconque forme de convention entre l’Etat et la société civile est sans doute la meilleure façon de progresser (selon le schéma même imparfait de l’Afrique du Sud) à la différence des législations répressives prônées par certains gouvernements.

La société civile, au mieux de sa forme, contient en elle l’appel et la vision d’un monde transformé et infusé d’amour et de justice. La société civile n’est pas simplement un assemblage d’institutions ou de pratiques comme la philanthropie, mais représente une façon différente de vivre et d’être au monde, un chemin crucial pour notre survie future et la prospérité de l’humanité dans son entier. Défendre et promouvoir la société civile est par conséquent le travail de nous tous pour de nombreuses années à venir.

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