3 mai – Il faut réhabiliter Nicolas Machiavel

Article : 3 mai – Il faut réhabiliter Nicolas Machiavel
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3 mai 2015

3 mai – Il faut réhabiliter Nicolas Machiavel

Nicolas Machiavel, philosophe Florentin, est le père de la pensée politique moderne. Né le 3 mai 1469 à Florence, aujourd’hui serait son 546ième anniversaire. Auteur de dizaines d’ouvrages tels que : Discours sur la première décade de Tite-Live, Le Prince, La Mandragore, Histoire de Florence, etc…, Machiavel est aujourd’hui encore présenté à tort comme un homme dépourvu d’idéal, de tout sens moral et d’honnêteté. Du penseur Jean Bodin (1529-1596), qui l’accuse d’avoir « profané les mystères sacrés de la philosophie politique », au savant Bertrand Russell (1872-1970), pour qui Le Prince est un « manuel pour gangsters », Machiavel passe communément pour le théoricien cynique du pouvoir et des techniques de manipulation, celui qui murmure à l’oreille des tyrans. Un tas de stéréotypes résumé dans l’adjectif machiavélique. Malgré cette réputation entachée par la méconnaissance et l’acharnement de l’Église, Machiavel tient une grande place dans la pensée politique. Il est particulièrement apprécié dans son pays, où l’on trouve un monument à sa gloire, érigé par le grand-duc Pierre-Léopold-Joseph, à côté des tombeaux de Galilée ou de Michel-Ange. Il y est inscrit :

« Tanto nomini nullum par elogium

Nicolaus Machiavelli »

« Aucun éloge n’est digne d’un si grand nom »

En effet, la pensée de Machiavel se prête aussi à de tout autres interprétations (1). Le Prince est le « livre des républicains », selon Jean-Jacques Rousseau ; celui où « Machiavel lui-même se fait peuple », pour Antonio Gramsci. A vrai dire, des penseurs de la Contre-Réforme, au XVIe siècle, jusqu’aux libéraux du XXIe siècle, en passant par les auteurs des Lumières, les Jacobins, les marxistes, les fascistes ou les néorépublicains, tous y sont allés de leur lecture. Aujourd’hui, le Florentin inspire tout autant des romans policiers ou des jeux vidéo (2) que des bréviaires de « management entrepreneurial » ou même de « gouvernance familiale » — comme Machiavelli for Moms (« Machiavel pour les mamans »), de Suzanne Evans (Simon & Schuster – Touchstone, 2013)…

Dans son autre œuvre majeure, les Discours sur la première décade de Tite-Live, publiés en 1531, Machiavel examine, en relisant l’histoire romaine, les principes du régime républicain, et démontre sa supériorité par rapport aux systèmes despotiques ou autoritaires (principati). Le Prince et les Discours s’articulent autour d’une même problématique : comment instaurer et maintenir un régime d’autonomie et d’égalité — la république — dans lequel les rapports de domination sont exclus ? Comment constituer un Etat libre fondé sur des lois communes, des règles de justice et de réciprocité et la réalisation du bien public ? Le Prince, théorie de la fondation de la république, ou de sa refondation en situation de crise, ainsi que des méthodes adéquates — parfois violentes — pour en construire les piliers, et les Discours, réflexion sur la forme qu’elle doit prendre — la démocratie — comme sur les moyens de la préserver, sont indissociables. Tous deux naissent du contexte historique où Machiavel les rédige et de la tradition intellectuelle dans laquelle il s’inscrit pour mieux s’en détacher.

Quand il s’attelle au Prince, la République florentine, qu’il a servie pendant quatorze ans en tant que haut diplomate, minée par les divisions et la corruption, vient d’être renversée par les partisans des Médicis avec l’aide des Espagnols (septembre 1512). L’intermède républicain a duré dix-huit ans : une république théocratique, de 1494 à 1498, placée sous l’autorité du moine Jérôme Savonarole, puis une république laïque, de 1498 à 1512. Depuis des décennies, la Péninsule est soumise aux appétits des grandes monarchies qui s’allient au gré de leurs intérêts avec les nombreuses cités-Etats du pays, empêchant l’unification territoriale et nationale que Machiavel appelle de ses vœux. C’est cette situation qui explique l’objet du Prince : il s’agit pour son auteur de réfléchir aux moyens de rétablir la république dans la cité toscane et d’édifier un Etat suffisamment fort pour « prendre » (unifier) l’Italie et la « délivrer » des puissances étrangères. Le Prince s’adresse à celui qui sera capable de réaliser ce double objectif.

L’œuvre de Machiavel est donc bien plus profond que le regard superficiel auquel certains voudraient le réduire. Machiavel fut non seulement un très bon diplomate, mais également un visionnaire. Malheureusement, de toutes ses œuvres – qui gagnent à être toutes lues, faute de quoi on ne saurait faire une interprétation adéquate – la postérité ne se sera limitée qu’à une seule : Le Prince. De surcroît, cette œuvre publiée quelques années à peine après le décès de l’auteur et qui connut un succès immédiat, est malheureusement très souvent mal interprétée.  En effet, la majorité des personnes ne la prennent pas dans son contexte réel. Et la diabolisation va jusqu’à faire de cette maxime répandu : « C’est la fin qui justifie les moyens. » une citation de Machiavel. Pourtant il n’en est rien, car celle-ci n’est que le résumé que certains ont collé à son œuvre. C’est l’illustration si besoin l’était, de la tendance destructrice qu’on les Hommes à avaler toutes les idées qui leurs parviennent sans discernement. Selon moi, il est important de se débarrasser des idées reçues pour percevoir la lumière qui rayonne des enseignements du maître Machiavel. Pour se faire il faudra réhabiliter Nicolas Machiavel dans l’imaginaire populaire, afin de restaurer la quintessence de son enseignement.

Cela dit, je n’affirmerai pas que l’œuvre de Machiavel est positive sur toute la ligne. Il y a bien entendu des aspects qui mériteraient d’être relativisés en fonction des circonstances et des enjeux. Encore faut-il observer tout ça par le bon prisme : neutre et objectif.

(1) Sur les différentes interprétations de la pensée du Florentin, cf. Claude Lefort, Le Travail de l’œuvre Machiavel, Gallimard, Paris, 1986 (1re éd. : 1972).

(2) Cf. Ranieri Polese, « Machiavel mène l’enquête », Books, n° 46, Paris, septembre 2013.

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