Retour de l’église dans les arènes politiques en Afrique : un joueur de trop
Dans mon pays la Côte d’Ivoire, en 2010 l’église, toutes tendances confondues s’est retrouvée au cœur de la crise postélectorale. Les tentatives de médiation de l’église catholique entre les camps Gbagbo et Ouattara ont fait couler beaucoup d’encres et de salives de part et d’autre. Aujourd’hui, le représentant de l’église catholique à la Commission Électorale Indépendante (CEI), L’Abbé Boni Boni, s’est retiré après le retrait de l’opposition et de la société civile. Dit-il, pour favoriser la participation de tous les fils du pays.
Au Burkina Faso, le clergé a vertement prit position contre la révision de la constitution envisagé par le parti au pouvoir.
En république Démocratique du Congo, l’église catholique a décidé d’aller plus loin que d’habitude. Non seulement elle exprime sa désapprobation vis-à-vis du projet de révision constitutionnelle qu’elle soupçonne, mais elle appelle tous les curés et les catéchistes du pays à véhiculer son message et à sensibiliser les chrétiens dans les églises pour qu’ils se mobilisent contre toute tentative de modification de l’article 220. Un nouveau cap est franchi dans l’Afrique de l’après indépendance.
Du Benin au Burundi, en passant par le Sénégal, etc… l’église catholique se fait remarquer de plus en plus par ses prises de positions sur la gouvernance des Etats et le déroulement des processus électoraux. Certains trouvent que l’église sort de son rôle, elle s’en défend bien entendu, et de manière fort bien convaincante. Interroger dernièrement sur Radio France Internationale (RFI) à savoir si l’église n’était pas dans le rôle de l’opposition, Monseigneur Fridolin Ambongo, (président de la commission Justice et paix de la Conférence épiscopale nationale congolaise, la CENCO) répondit ainsi « L’Église catholique a toujours joué un rôle prophétique, indépendamment de la position de l’opposition. Quand il y a un danger qui pointe à l’horizon, c’est le rôle du prophète d’attirer l’attention en sonnant l’alarme. Et c’est ce que nous sommes en train de faire. » A vos commentaires !
Pour ma part je constate comme tous cette progression dans la position de l’église. Je suis aussi d’accord avec la mission des prophètes qui doivent attirer l’attention de la communauté, nous constatons que nos prophètes ne semblent que découvrir aujourd’hui les problèmes que nous vivons depuis des décennies. Pourquoi une prise de conscience et d’initiative si tardive ? Quelles conséquences cela peut-il engendrer ?
Si le clergé pousse le bouchon plus loin, le risque serait de se retrouver malgré ses « bonnes intentions » dans l’arène politique, et d’être par conséquent traité comme tel, sans aucune garantie d’ailleurs sur l’issue de ses actions. Car dans une telle perspective l’un des gros défis pour l’église serait déjà de parler d’une seule voix ; de tenir dans le temps une position commune. Au lieu de contribuer à unir le peuple, et promouvoir la démocratie, l’église pourrait devenir un vecteur de division et de conflit plus ou moins grave. En effet sachant qu’il existe d’autres communautés, l’équation deviendrait certainement plus complexe si les autres communautés venaient elles aussi à donner des mots d’ordre opposés. Par ailleurs dans d’autres pays comme le Sénégal, c’est la communauté musulmane, les mourides plus précisément, qui s’adonnent à ce jeu dangereux. Étant un acteur de la société civile, j’encourage toutes les forces vives de la société à s’impliquer pour la promotion de la bonne gouvernance et des valeurs démocratiques. Cependant chacun se doit ma foi de peser avec la bonne balance les POUR et les CONTRE de ses initiatives. En occurrence la montée en première ligne des communautés religieuses créera plus de problèmes qu’elle n’apportera de solutions. Dans un contexte déjà confus par plusieurs facteurs, de tels mélanges de genre rendrait le cocktail plus explosif. Je déconseille donc fortement le clergé dans cette perspective. Sinon demain ce sont les autres communautés qui s’y inviteront. Les communautés ethniques ne tarderont à emboîter ouvertement le pas ; Bonjour la chienlit. Pour nos démocraties embryonnaires, il est bon que ces entités ultra-sensibles se placent au-dessus du marigot et des brouhahas politiques. Si nous y sommes tous embourbés qui viendra nous remorquer ? Si nous parlons tous en même temps qui nous ramènera autour de la table de discussion ?
D’autres actions plus appropriées demeurent à la portée de l’église. Celles-ci rendraient davantage service à la communauté. Il faudrait peut-être que nos prophètes confient davantage la situation au père pour qu’il les inspire mieux, au lieu de se consacrer exclusivement à des jeux politiques et diplomatiques.
Au nom du bon sens, Amen !
Tawakkal
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