Course au pouvoir : tu me gênes politiquement, je t’abats judiciairement

Article : Course au pouvoir : tu me gênes politiquement, je t’abats judiciairement
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2 septembre 2018

Course au pouvoir : tu me gênes politiquement, je t’abats judiciairement

La justice dans sa forme actuelle est une émanation de la politique moderne, qui en a fait dit-on un pouvoir autonome. L’inaltérable principe de la séparation des pouvoirs. Ce sacro-saint principe voudrait que dans une démocratie, les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire demeurent séparés et indépendants l’un vis-à-vis de l’autre. Dans le meilleur des mondes, l’application de ce principe aurait fait des merveilles. L’exécutif serait chargé de gérer la politique courante de l’État et de veiller à l’application des lois. Le législatif serait chargé de voter les lois, approuver et surveiller le budget de l’Etat et, selon les pays, de contrôler l’action du pouvoir exécutif et judiciaire. Pour sa part, le judiciaire devrait contrôler l’application des lois et sanctionner leur non-respect. Mais le fait est que nous ne sommes pas dans le meilleur des mondes, sous nos tropiques la théorie de la séparation des pouvoirs revêt bien son caractère théorique. Des faits persistants viennent démontrer, si besoin l’était encore, comment l’exécutif phagocyte tous les autres pouvoirs. Ceux-ci deviennent ainsi des coquilles vides à la solde des « Hommes forts » du moment. Nombre de pays partagent ainsi cette particularité qui a tout d’un recul démocratique.

Au Sénégal, la dernière affaire en date est le cas Khalifa Sall, désormais ancien maire de Dakar. Les ennuis judiciaires de ce dernier ont curieusement coïncidé avec ce moment où il commençait à afficher des ambitions présidentielles.

En République Démocratique du Congo (RDC), le feuilleton des élections présidentielles qui se poursuit nous fait voir des épisodes intriguants. Comme si la justice, postée en embuscade, devait s’occuper de certains candidats. Moise Katumbi, pour ne citer que ce cas, a été dans les bonnes grâces de Kinshasa jusqu’à ce qu’il se fasse piquer par cette mouche de candidature. On découvrit subitement qu’il traînait autant de casseroles.

Notre pays, la Côte d’Ivoire n’est pas en marge, bien au contraire. La perspective des élections présidentielles de 2020 nous offre du spectacle : bienvenue au cirque tragique d’Abidjan ! La règle est aussi simple que minable. Tu es en phase avec les projets avoués et inavoués du clan Ouattara, tu es super clean. Tu as le malheur de ne pas adhérer aux projets du clan, bonjour les ennuis. Et l’un des moyens prisés pour cette persécution est la justice, comme pour essayer de légitimer la forfaiture en marche. Pourtant, la ficelle est si grosse qu’elle ne pourrait passer inaperçue pour personne, même avec l’aide d’une bonne dose de mauvaise foi. Pour ne citer que les derniers cas en date : Soul to Soul, le protocole du désormais trouble-fait Guillaume Soro ; et Noel Akossi Bendjo, depuis peu ancien maire (PDCI) de la commune du Plateau, pourfendeur acharné du projet de parti unifié si cher à notre Roi, pardon à notre Président. Beaucoup d’autres dénoncent des pressions exercées sur eux ou leurs proches. Sans pour autant tabler sur la culpabilité de ces personnes, parce que nous ne disposons pas des éléments pour le faire objectivement, cette situation met en évidence des gangrènes de notre gouvernance actuelle. De deux choses l’une :

  • Soit ces personnes sont coupables, auquel cas le système pouvait s’accommoder avec des criminels tant que ceux-ci les soutenaient, et les autres pouvoirs censés être indépendants feignaient de ne point voir leurs agissements délictueux ;
  • Soit ces personnes sont innocentes, alors nous sommes dans une dictature rampante qui creuse le lit des frustrations et des abus qui causeront à terme sa chute, tout en plongeant à nouveau le pays dans une crise de trop.

Dans tous les cas de figure, ces faits témoignent bruyamment qu’on a affaire à un système corrompu, un climat nauséabond pour l’Etat de droit, un déficit démocratique grandissant, toutes choses qui enfoncent davantage le pays.

Pour tous les espoirs placés en lui, pour le cheminement qui a été le sien et tous les sacrifices que cela a nécessité, Alassane Ouattara n’a pas le droit de semer le désordre dans ce pays. Déjà que sur les segments économiques et sociaux, le bilan de sa gouvernance demeure très contestable, il serait bien inspiré d’arrêter sans délai d’entretenir obstinément cette belligérance sans issue. A défaut de faire mieux, éviter de faire pire que ses prédécesseurs.

Dans une société démocratique aussi normale soit-elle, la course au pouvoir ne devrait aucunement se soustraire des exigences de légalité et de légitimité. Les institutions de la République doivent demeurer au service de cette légitimité et de légalité, sinon nous allons droit vers le gouffre. Car la fragilisation voire la caporalisation desdites institutions ne peuvent que précéder l’effondrement de notre système.

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